Nous avons interrogé Gilbert Dumortier un camarade retraité syndiqué au SNES et très investi dans le secours populaire et la solidarité dans la commune d’Ivry ville de banlieue de la région parisienne au cœur de la lutte contre l’épidémie de Covid 19.
Gilbert : En préalable, permets moi de dire ma grande colère de voir que nos gouvernants semblent découvrir que la mal vie, le mal logement existent !
A Ivry nous n’avons pas attendu pour organiser depuis des années une solidarité active et concrète.
Plus grave le, les gouvernements successifs ont porté atteinte à nos finances communales, nous mettant dans une situation compliquée pour continuer d’aider les gens en situation de détresse : familles sans revenus, sans travail, sans papiers, Roms etc…
Pourtant l’engagement de la ville est resté entier : construction de logements y compris sociaux, investissement dans l’agrandissement et la modernisation des locaux, du matériel médical du Centre Municipal de Santé, aides aux associations qui sont mobilisées pour prendre en charge alimentairement les familles exclues !
Aujourd’hui à l’heure du covid-19 tu te doutes que tous les services publics de la ville, les associations, les citoyens sont sur le pont !
Les maisons de quartier
Elles en sont un exemple. Je leur donne la parole…
Depuis le confinement, nous avons installé une table devant l’entrée de la Maison de quartier qui est fermée. Nous animons un point d’accueil et d’information pour les habitants. Quatre agents communaux volontaires y participent : Magali du secteur commerces, Kamel des espaces verts, Zorane de la jeunesse et moi (Said) qui occupe mon poste. Nous fournissons des attestations dérogatoires de déplacement et répondons à toutes les questions qui se posent. Les gens ont parfois besoin de parler pour rompre leur isolement.
J’ai été très surpris par l’élan de solidarité qui s’est manifesté naturellement. Cinquante bénévoles du quartier, de différentes générations, nous ont proposé leur aide notamment pour faire les courses aux personnes qui ne peuvent pas se déplacer. Les bénévoles sont aussi sollicités pour la livraison des colis de denrées alimentaires provenant du Secours populaire ou de la municipalité. Ces derniers sont destinés aux usagers en grande difficulté sociale.
Nous avons même inventé le métier d’écrivain public « par téléphone » pour épauler les personnes qui ne sont pas à l’aise avec l’écrit et qui rencontrent des problèmes administratifs urgents. »
D’autres associations se proposent pour préparer des repas, récupérer de l’alimentation auprès des grandes surfaces !Dont évidemment le Secours Populaire Français d’Ivry qui prend également sa place dans le dispositif d’aide. (J’y reviendrai)
Notre municipalité sert de plaque tournante pour orienter aider et faire que toutes ces actions puissent aboutir.
Les structures de culture municipales se mobilisent également :
- le « Luxy » cinéma municipal met en ligne des films courts métrages pour enfants et adultes !
- la médiathèque municipale met à disposition des livres numériques, des films, des structures d’aides pour les enfants des écoles primaires par internet.
Une fois de plus on se rend compte que les services publics de notre ville ont une utilité, du sens, sont fondamentaux pour relier les hommes !
USR : Quel rôle pour le centre de santé municipal ?
Gilbert : Comme je te le disais tout à l’heure la municipalité a consacré des finances pour l’agrandir et le moderniser malgré l’austérité budgétaire qui est imposée à la ville par le gouvernement.
Cette décision prend encore plus de sens dans cette période de crise.
Il permet d’accueillir et écouter les patients, afin de ne pas engorger le 15 ou les urgences !
Une réorganisation a été opérée : je passe la parole à notre journaliste d’IMV [1] qui a fait un reportage.
Ivry ma ville hebdo : Comment le Centre municipal de santé répond-t-il à l’actuelle épidémie de Covid-19 ?
Dr Laura Petitcollot : Au sein du Centre municipal de santé, nous avons mis en place deux circuits d’accueil des patients : l’un est réservé à ceux présentant les symptômes du Covid-19* et l’autre à ceux ayant d’autres pathologies. À l’accueil, deux infirmières équipées de gants, masques et surblouse sont chargées de les repérer. Elles leur posent quelques questions, prennent la température à l’oreille et vérifie la bonne oxygénation du sang par une mesure au bout du doigt. Nous recevons sans rendez-vous. Nous avons mis en place un accueil téléphonique dédié au Covid-19, accessible à partir de notre standard. Un médecin peut ainsi répondre à toutes vos questions et vous orienter. Il règle beaucoup de problèmes à distance. L’idéal serait de l’appeler avant de venir nous voir.
IMV hebdo : Les personnes souffrant d’autres pathologies peuvent-elles être prises en charge au CMS ?
Dr Laura Petitcollot : En dehors du Covid-19, nous prenons bien sûr en charge les patients présentant d’autres pathologies ou problématiques ayant un caractère d’urgence. Je pense notamment aux femmes, majeures ou mineures, qui ont choisi d’interrompre une grossesse. Elles doivent nous contacter dès que possible afin de respecter les délais légaux**. Nous pouvons leur prescrire une IVG médicamenteuse et réaliser une échographie sur place. La contraception gratuite pour les jeunes continue d’être délivrée tous les mercredis après-midis. Enfin les violences conjugales ou intrafamiliales connaissent une recrudescence durant le confinement. Là encore, nous sommes là pour accueillir les femmes.
Cependant il ne faut pas se cacher que le travail des médecins du CMS en amont n’a pas obligatoirement de débouché compte tenu de la situation de pénurie de lits en aval !
Comment confiner une personne d’une famille s’il n’y a pas de lieu pour l’accueillir ?
Pénurie en matériel de protection : masques, charlottes, surblouses etc…Obligation de contingenter de se restreindre en attendant les livraisons de matériels.
Le CMS, quoiqu’il en soit, met tout en œuvre pour assurer au mieux la sécurité des personnels, médecins, usagers.
Nous pouvons compter sur eux !
Comme le disait un médecin urgentiste à notre président à la télé : « vous pouvez compter sur nous l’inverse n’est pas certain ! »
USR : Comment la municipalité a traité la question du confinement des sans domicile fixes ?
Gilbert : je laisse la parole aux acteurs des maisons de quartiers :
Avant le confinement, nous faisions une maraude par semaine. Depuis, c’est tous les soirs ! La situation des sans-abris est particulièrement difficile : ils se retrouvent sans rien, se cachent de peur des contrôles. On récupère des dons, la Ville nous fournit aussi des plateaux repas, tout comme la Protection civile, la Banque alimentaire… On a aussi besoin de kits d’hygiène, de couvertures, de sous-vêtements…
À 19h, tous les soirs, on fait un point fixe de distribution devant le Carrefour Market du centre Jeanne Hachette. C’est un repère pour les sans-abris. On les rassure, les aide à remplir les attestations. Masques, gants, distance : nous faisons très attention aux conditions d’hygiène et de sécurité. Ensuite, vers 20h, on sillonne la ville pour continuer la distribution, dans les lieux que nous avons repérés. De 50 à 110 repas sont donnés tous les soirs, et ça augmente avec le bouche à oreille.
Certains habitants aident aussi à leur niveau, lavent le linge de personnes à la rue, tissent des liens. Il y a une solidarité qui se met en place, on se sent soutenu. Mais beaucoup de centres d’accueil ferment, notamment sur Paris, la campagne des Restos du cœur est terminée, des associations ne fonctionnent plus par manque de bénévoles… Si le confinement dure, ça va être très difficile pour les personnes précaires. On le sent sur le terrain. D’un autre côté, beaucoup veulent se rendre utiles, ce qui est positif.
USR : Quelles actions en direction des personnes âgées dépendantes ?
Gilbert : Ces personnes sont habituellement suivies, aidées et le travail en direction de ces familles ou personnes se poursuit comme lors, par exemple, des moments de canicule. Contacts téléphoniques, livraison de repas etc.
USR : Tu es responsable du Secours Populaire dans ta commune ; comment s’est articulée l’action de ton association avec celle de la commune ?
Gilbert : Comme je le disais précédemment la ville a réagi tout de suite !
Soyons clair à Ivry nous travaillons, même en temps « normal », avec les services municipaux, le CCAS, les services sociaux d’autres associations.
Aujourd’hui notre activité prend une dimension encore plus importante compte tenu du confinement !
Notre connaissance des gens, du terrain, nous permet de garder le contact, de préparer et distribuer ou faire distribuer par les maisons de quartier les colis alimentaires.
Nous prenons en charge plus de 250 familles, soit une population de plus de 1000 personnes femmes, enfants, bébés, hommes.
Des volontaires, des bénéficiaires de notre association travaillent soit dans nos locaux soit en télétravail.
Nous établissons des listes de distribution et répartissons au mieux dans les maisons de quartier les colis en fonction des lieux d’habitation pour limiter les grands déplacements.
Nous faisons en sorte de téléphoner à celles et ceux qui ne peuvent se déplacer, alerter sur les situations de détresse.
Les services municipaux, le CCAS, l’adjoint à la politique sociale et solidaire sont joignables pour que nous mettions au point une stratégie de récupération de légumes, de conserves proposées par les magasins ou par notre fédération départementale : mise à disposition d’un camion, d’un chauffeur, de bras pour décharger etc..
Reste que les conditions antérieures pèsent encore plus sur les populations qui déjà n’avaient pas de logement adapté à la configuration familiale voire pas de logement, pas de travail, pas de revenus !
9 millions de personnes en France sont en dessous du seuil de pauvreté ! Beaucoup de retraitées femme notamment, y compris des enseignantes !
Pourtant ce n’est pas faute de tirer le signal d’alarme !
Depuis des années, le SPF publie les résultats du sondage Ipsos qu’il effectue. Il fait apparaître que d’année en année le bilan de la pauvreté s’alourdit !
Les pouvoirs publics semblent ne rien voir, ne rien entendre et nous laissent dans le dénuement !
Nous gérons les carences du pouvoir politique, alors que dans le préambule de la constitution de 1946 repris par celui de 1958 (extraits):
-*La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.
- Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence.
- La Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales.
Heureusement que la solidarité des bénévoles existe !
Pour Ivry notre structure représente l’équivalent d’une PME de 14 personnes à temps complet. C’est ce que fait apparaître notre bilan de bénévolat !
Ivry a cette chance d’avoir un tissu de gens qui se sentent concernés par l ‘humain : notre devise « Tout ce qui est humain est nôtre » trouve dans notre ville écho !
Un petit ajout en dehors du SPF : en plus des applaudissements de 20h à Ivry, un certain nombre de citoyens affichent à leur balcon, fenêtre des banderoles pour affirmer que :
- « la santé n’est pas une marchandise ! »
- « nos vies valent plus que leurs profits »
- « j’aime l’hôpital public»
- « soutien aux soignantes et soignants »
Oui, il va falloir après le confinement ne pas perdre la mémoire et exiger que le logiciel économique et social ne soit plus le même !
Exiger un plan de reconstitution du tissu des hôpitaux comme notre syndicat le revendique ainsi qu’une reconquête de notre indépendance nationale de production.
Nous rechanterons le temps des cerises …
USR : un grand merci pour tes réponses et ce que tu réalises pour aider les plus fragiles : aujourd’hui plus que jamais la solidarité est à l’ordre du jour.
Propos recueillis par Jean-Bernard Shaki
26 mars 2020
[1] IMV Ivry Ma Ville hebdo
La vie militante ne s’arrête pas à la retraite ! Au contraire, les retraités du SNES-FSU participent activement aux mobilisations en cours (protection sociale, dépendance etc) et apportent leurs analyses à des dossiers intergénérationnels.
Contact enretraite@snes.edu