
Quelle vision des retraité·es caractérise notre société ? Il est sans doute intéressant de se poser cette question à l’heure où les attaques se multiplient dans certains milieux politiques, relayés par certains médias.
Les retraité·es : privilégié·es ? De la fondation IFRAP.Org (08/02/2013), à ICI Roussillon (20/03/2025) en passant par Le Parisien (05/10/2017) ou encore La Montagne (25/10/2024) pour ne prendre que quelques exemples, voilà une question qui hante les médias. Se poser cette question, c’est évidemment passer sous silence les 650 000 retraité·es au minimum vieillesse et les 2 millions qui vivent sous le seuil de pauvreté.
Si le projecteur est braqué sur les soi-disant « privilèges » des retraité·es, c’est bien sûr parce que l’on considère que leurs revenus, pourtant fruit de leurs années de travail et de leurs cotisations, sont illégitimes puisque eux-mêmes sont improductifs. Personne, parmi les tenants du libéralisme, ne relève le fait que les hauts revenus des non-retraité·es puissent être considérés comme des privilèges. Cette obsession à dénoncer les retraité·es n’a pas d’autre but que de justifier les attaques contre les pensions présentées comme trop généreuses.
L’idéologie capitaliste : Jean Michel Galano (revuecommune.com 04/09/2022) signale que : « la logique capitaliste ne connaît que des coûts à réduire et des possibilités de profit à optimiser ». Dans cette logique-là, les retraité·es ne sont vu·es que sous l’angle financier. Soit elles et ils coûtent cher parce qu’ improductifs·ves, selon les critères du capitalisme, a fortiori lorsqu’elles et ils sont malades et très âgé·es, soit elles et ils sont à siphonner en tant que consommateurs·trices. Le rôle social (implication dans les associations, dans la vie politique locale, soutien à la famille, etc.) n’existe pas dans cet univers où la seule valeur et le seul but est : gagner de l’argent.
La querelle des mots : Réduire les retraité·es à ce qu’elles et ils coûtent ou peuvent faire gagner, se traduit aussi dans le langage des pouvoirs publics. Avant 2016, il existait un organisme national représentant les intérêts des retraité·es : le Conseil National des Retraité·es et Personnes Âgées (CNRPA) relayé au plan local par les Conseils Départementaux des retraité·es et personnes âgées (CODERPA). La création, en 2016, du Haut Conseil de la Famille de l’Enfance et de l’Âge (HCFEA) et des Conseils Départementaux de la Citoyenneté et de l’Autonomie (CDCA), a effacé le terme de retraité·es. Cela peut paraître dérisoire. C’est en fait le témoignage de l’effacement de l’identité sociale des retraité·es, réduit·es à leur seule condition biologique. Cette délégitimation sociale correspond à la mise en cause de la pension conçue comme salaire continué, comme droit acquis par le travail. Elle devient, insidieusement, une allocation octroyée aux personnes âgées dans l’incapacité de travailler.
L’âgisme : une enquête* demandée par le HCFEA en 2024 conclut que si les Français ne sont pas âgistes, la France l’est. Curieux paradoxe qui s’explique en partie par le fait que la notion d’âgisme est largement ignorée par la population. C’est un fait qu’une discrimination ne peut être combattue que si elle est identifiée comme telle et donc nommée. La lutte contre le sexisme n’est devenue une réalité qu’avec la prise de conscience du phénomène et sa nomination.
* (https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/note_hcfea_resultats_enquete_agisme.pdf)
Les exemples d’âgisme de la société sont particulièrement marquants. Le scandale ORPEA en est une lumineuse illustration.
Yannick Seigneur (https://numerabilis.u-paris.fr/ressources/pdf/sfhm/hsm/HSMx2013x047x004/HSMx2013x047x004x0575.pdf) dans un article consacré à la représentation de la vieillesse signale : « Alors que les discours raciste et sexiste sont passibles des tribunaux, l’âgisme est le cas d’espèce où le discours discriminant est clairement affiché, développé, revendiqué à l’instar des hommes et femmes politiques, journalistes, économistes qui véhiculent une culture ouvertement âgiste. » Selon cette culture, il y aurait un âge (jamais clairement précisé) à partir duquel on cesserait d’être un citoyen à part entière (droit de vote mis en cause), on perdrait toute une série de droits (conduire, se soigner, se distraire…). L’une des raisons de l’expression ouvertement âgiste de certains tient sans doute à la stratégie du bouc émissaire. Pointer du doigt les « privilèges » des retraité·es, trouver scandaleux le coût financier de la santé des plus âgé·es, c’est détourner l’attention des véritables responsabilités en matière d’injustice sociale. S’attaquer aux retraité·es, c’est fermer les yeux sur les énormes dividendes, sur les profits excessifs et sur les grandes fortunes.
De la même manière que le racisme et le sexisme sont devenus des discriminations honteuses, sanctionnées par la loi, toujours présentes mais difficiles à assumer ouvertement, il nous appartient de faire en sorte que l’âgisme devienne aussi insupportable que n’importe quelle autre discrimination. Ne plus laisser passer les plaisanteries sur l’âge, comme on ne supporte plus les plaisanteries sur la race ou sur le sexe, réagir systématiquement en présence d’un discours âgiste en le dénonçant pour ce qu’il est : une discrimination, une réduction de la personne à un seul trait de son identité.
Ceci fait partie du combat social que nous portons. Il comporte aussi cette dimension culturelle essentielle.
On a bien vu les tentatives du pouvoir d’opposer les générations. C’est par notre vigilance et notre lutte sur tous les plans que nous pourrons dire en fin de compte que la guerre des générations n’aura pas lieu.
Manuel Fernandez
La vie militante ne s’arrête pas à la retraite ! Au contraire, les retraités du SNES-FSU participent activement aux mobilisations en cours (protection sociale, dépendance etc) et apportent leurs analyses à des dossiers intergénérationnels.
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