Logique du système actuel de retraites, et logique de la réforme à mener

La retraite amplifie les inégalités femmes-hommes : salaire moyen des femmes inférieur de 27 % à celui des hommes ; pension moyenne des femmes inférieure de 40 % à celle des hommes (pension de droit direct).
En effet, aux salaires plus faibles des femmes, s’ajoute le fait qu’elles ont des carrières plus courtes, interrompues pour les enfants, et des parcours avec des périodes de temps partiel. Or, salaire et durée de carrière sont les composantes principales pour le calcul de la pension.

Le système de retraites (et de protection sociale) a été conçu il y a 70 ans sur le modèle patriarcal de famille, avec l’homme, soutien de famille, qui travaille à temps plein, sans interruption (pas de problème de chômage à l’époque) et il jouit de droits directs. La femme est au foyer et bénéficie de « droits dérivés » à la protection sociale, par son statut d’épouse ou de mère.

Le mode de calcul de la pension, fondé sur cette norme, ne prévoit donc pas les carrières courtes, et de fait les désavantage fortement.
Il aboutit, comme le reconnaît le Conseil d’orientation des retraites (COR), à un « effet globalement antiredistributif » qui va « dans le sens d’un accroissement des inégalités en défaveur des assurés à carrière courte, donc des assurés à plus bas salaires , et des femmes tout particulièrement » .
Des dispositifs familiaux ont été progressivement intégrés dans le système, visant à compenser la pénalisation de carrière due à l’éducation des enfants. Ils permettent de réduire en effet les écarts de pension entre hommes et femmes (à 28 % au lieu de 40 %). Mais, d’une part, ils sont loin d’annuler ces écarts ; d’autre part et surtout, ils n’agissent pas pour corriger la source des inégalités et pire, ils les entretiennent car ils enferment les femmes dans le rôle de mères.
De plus, certains dispositifs liés aux enfants sont attribués sous condition d’interruption d’activité professionnelle : ils incitent les femmes à se retirer du travail, ce qui nuit à leur carrière, et plus tard à leur pension, c’est donc leur droit direct à pension qui s’en trouve diminué (même si formellement, ils s’adressent au « parent », dans les faits, les normes sociales font que ce sont en très grande majorité les femmes qui se retirent de l’emploi). Les rôles sexués en sont pérennisés. Les femmes se voient attribuer des droits complémentaires à une pension… qui s’appliquent concrètement au détriment de leurs droits directs !
Remarque : la maternité n’est pas la seule cause de pénalisation des pensions des femmes. La pension moyenne des femmes sans enfant est de 19 % inférieure à celle des hommes . Ce qui reste occulté.

Au fil du temps, les inégalités de pension entre femmes et hommes avaient tendance à diminuer (les femmes sortent plus qualifiées du système scolaire, elles participent plus au marché du travail). Mais les réformes précédentes contrecarrent cette tendance et leurs effets n’ont pas fini de se faire sentir.
– allongement régulier de la durée de cotisation qui pénalise plus durement les carrières courtes,
– décote qui touche plus de femmes (9 %) que d’hommes (6%) et pour un montant supérieur ,
– passage du calcul du salaire de référence des 10 aux 25 meilleures années, ce qui se concrétise par une baisse immédiate de pension au moment de la liquidation, baisse d’autant plus forte que la carrière est courte et qu’on doit « piocher » dans les mauvaises années pour atteindre 25 ans,
– Majoration de durée d’assurance (MDA) fortement réduite dans la fonction publique en 2003 (d’un an à six mois par enfant) : les femmes fonctionnaires ont perdu de nombreux trimestres de validation,
– MDA réduite ensuite en 2009 pour le secteur privé .
Depuis 1993, l’indexation des pensions sur les prix et non plus sur le salaire moyen entraine un écart de niveau de vie croissant entre les salarié-es et les retraité-es. Comme le souligne le rapport de Mme Yannick Moreau : « les effets des critères de revalorisation peuvent être considérables sur des retraites servies pendant vingt, trente ou quarante ans » !
De fait, le taux de pauvreté des retraité-es est passé de 8,5 % en 2004 à 10,2 % en 2010, et « au sein de cette population, les femmes isolées (notamment les veuves) sont surreprésentées ».
Au niveau européen, un rapport de la Commission européenne de 2013 a établi un classement des plus forts écarts de pension entre les sexes : la France se trouve être le 6ème plus mauvais pays, sur les 29 pays de l’étude ! Et même, l’écart s’est creusé en France de 10 % en cinq ans (entre 2005 et 2010). Pourtant la Commission continue de préconiser l’allongement de la durée de cotisation, tout en attirant l’attention sur la fait qu’il a « toutes les chances d’avoir un effet disproportionné sur les femmes » !

Tendance

Les réformes depuis 30 ans se font selon la logique libérale de la Banque mondiale, du FMI, de la Commission européenne, et elles visent à réduire la retraite publique par répartition pour ouvrir la voie au système assurantiel privé. Elle organise le retrait de l’État social pour offrir un nouveau champ de profits au privé.
Cette logique renforce la contributivité du système, c’est-à-dire renforce le lien qui existe entre la somme des cotisations versées tout au long de la carrière et la somme des pensions perçues ensuite lors de la retraite.
Dans cette logique, tout allongement de l’espérance de vie doit se traduire soit par l’augmentation du montant de cotisations, soit par la baisse de la pension servie. Les employeurs refusant l’augmentation des cotisations qui concernerait aussi la part patronale, cette logique se traduit par l’allongement de la durée de cotisation ET par la baisse des pensions (exemple, par le passage des 10 aux 25 meilleures années, la sous indexation des pensions, etc.)
Le renforcement de la contributivité signifie que la personne retraitée « récupère » au mieux les cotisations qu’elle a versées précédemment. Ce qui implique en creux la baisse de la part des pensions distribuée au titre des mécanismes de solidarité (dispositifs familiaux, réversion, attribués sans condition de cotisations préalables) qui opèrent une redistribution en faveur des plus faibles pensions. Les mécanismes de solidarité bénéficiant en majorité aux femmes, l’objectif de renforcement de la contributivité signifie la pénalisation globale des femmes.

Cette logique va à l’opposé du progrès social : notre objectif doit être au contraire d’assurer une protection sociale performante, garantissant un niveau suffisant de pension tout en visant la suppression des inégalités de genre.

Les dispositifs familiaux : un dilemme

Les dispositifs familiaux sont indispensables pour réduire les inégalités de pension entre les femmes et les hommes, mais ils sont à double tranchant : ils enferment les femmes dans le rôle de mère en pérennisant l’assignation sociale des femmes aux tâches parentales.
Certains sont réservés au parent cessant ou réduisant leur activité professionnelle (comme l’assurance vieillesse parent au foyer, ou la MDA dans le secteur public) : ils ont comme conséquence le retrait de nombreuses femmes de leur emploi (particulièrement les emplois peu qualifiées et peu payés) ce qui a contribue ensuite à la baisse de leur pension de droit direct. Ces droits complémentaires dégradent les droits directs.
Une politique cohérente en faveur de l’égalité doit favoriser l’évolution vers un système de protection sociale qui rompe avec le modèle patriarcal : il s’agit donc, non pas d’étendre les droits dérivés des femmes, mais de renforcer leurs droits directs à une pension.
D’autant plus que le modèle de vie évolue, et le nombre de mariages diminue : bientôt la population de retraité-es sera composée essentiellement de célibataires et de personnes divorcées ou séparées, avec très peu de droits à réversion. Seuls les droits directs peuvent assurer l’autonomie des femmes.
 Il est indispensable de mettre en oeuvre des politiques de lutte contre les discriminations professionnelles pendant la vie active, mais ce n’est pas suffisant,
 Il faut des mesures pour inciter les pères à s’investir à égalité dans la vie domestique (congé parental à partager obligatoirement à égalité entre les deux parents ?) et développer les modes d’accueil des enfants.
 Surtout que, comme le montre l’Institut des politiques publiques, agir en amont en prenant en charge la petite enfance est plus efficace que compenser a posteriori la pénalisation de carrière subie par les femmes . L’idée est donc de répondre d’abord au besoin de crèches, et de réorienter progressivement le montant des dispositifs familiaux vers des prestations de service en direction des familles pensant la vie professionnelle.
 Sans attendre, il faut renforcer le droit direct des femmes à une pension à taux plein, c’est-à-dire revenir sur les mesures passées qui ont dégradé ce droit.
 Pour que le calcul de la pension ne pénalise plus autant les carrières courtes, il est possible de modifier la règle et de déterminer le nombre d’années pour le calcul du salaire de référence, non plus en absolu mais en relatif, sur la base d’un pourcentage du nombre d’années cotisées : par exemple 25% (un quart). Pour une carrière de 40 ans, le calcul retiendrait ainsi les 10 meilleures années ; pour une carrière de 20 ans, les 5 meilleures. En arrondissant : pour une carrière de 30 ans, calcul sur les 7 meilleurs années (30/4 = 7,5 ans, arrondis à 7).
 Pour les périodes à temps partiel, une surcotisation patronale se justifié, car ce type d’emploi est très avantageux pour les employeurs (exemple des caissières)
L’égalité entre les femmes et les hommes est un objectif politique qui se suffit à lui-même. Mais il est aussi utile de noter qu’en plus, elle favoriserait le financement des retraites.
Si le taux d’activité des femmes rejoignait celui des hommes (il est actuellement plus bas de 10 points), le financement des caisses de retraite en serait grandement amélioré, tout comme le droit direct à pension des femmes. Pour le seul régime général, la rentrée de cotisation sociale générée par l’activité professionnelle des femmes représenterait 3,3 milliards d’euros !
De même, l’égalité salariale générerait un volume supérieur de cotisations sociales. La CNAV a réalisé une étude qui montre que si l’égalité était atteinte en 2023, ce serait 11 milliards euros de cotisation supplémentaires pour le seul régime de base !

La retraite est un enjeu de société.

Considérer la question des retraites à partir de la situation des femmes permet de réfléchir au projet de société souhaité dans sa globalité, et de mettre en avant de nouvelles revendications de progrès pour tous et toutes.

Pour plus de développements, voir le document « Femmes et retraites : un besoin de rupture » http://www.fondation-copernic.org/spip.php?article953

Carrières courtes et bas salaires sont fortement corrélés.
« Douzième rapport du Conseil d’orientation des retraites », Paris, 22 janvier 2013.
« The gender gap in pensions in the EU », rapport de la Commission européenne, Bruxelles, juillet 2013.
Les retraités et les retraites 2013, Drees.
Les mères bénéficient d’une année de MDA par enfant au lieu de deux auparavant. L’attribution de la seconde année va, au choix du couple, au père ou à la mère.
Yannick Moreau, « Nos retraites demain : équilibre financier et justice », La Documentation française, Paris, 2013.
Ibid.
« The gender gap… », op. cit. En 2010, l’écart est de 39 % ; il concerne les pensions moyennes des hommes et femmes de plus de 65 ans, ce qui donne une valeur différente des statistiques nationales.
Institut des politiques publiques, « Réformer le système de retraite : les droits familiaux et conjugaux », Paris, juin 2013.
Un chiffrage et des solutions de financement sont présentés dans Retraites : l’alternative cachée, Attac – Fondation Copernic, Syllepse, Paris, 2013.

Bienvenue sur le blog des retraités du SNES-FSU.

La vie militante ne s’arrête pas à la retraite ! Au contraire, les retraités du SNES-FSU participent activement aux mobilisations en cours (protection sociale, dépendance etc) et apportent leurs analyses à des dossiers intergénérationnels.

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