Sécu : comment une ambition sociale se détricote peu à peu
Les récentes déclarations de François FILLON sur la sécurité sociale ont généré une inquiétude jusque dans son camp et démontré l’attachement de l’ensemble de la société à la protection sociale.
L’avenir dira le sort que lui réservent les élections, mais la Sécu issue du Programme du CNR et de la Libération est hélas victime depuis longtemps d’un processus de détricotage sur lequel, tout autant que de s’inquiéter, il convient de mesurer et combattre les atteintes qui lui ont été faites.
Remise en cause d’une ambition démocratique
Basée sur le financement par cotisations patronales et salariales, la gestion par les représentants élus des deux parties ne vit que jusqu’aux années 60. Les syndicats se partagent les voix des salariés
(1962, CGT 40%, CFTC 20%, FO 16%) mais les mutuelles sont aussi représentées (dans la Loire, en 1947 : CGT 48%, CFTC 25%, Mutualité 20%). A partir de 1967 c’est la désignation et le partage entre CNPF et certains syndicats (FO, CFTC, CGC) pour la gestion de chaque caisse ; il n’y a plus d’élection au suffrage universel. 1983 marque un sursaut, de nouvelles élections, ce sont les dernières. Depuis, patronat et syndicats s’accordent : CGC la retraite des cadres, CFDT le chômage, FO la maladie, la CFTC les allocations familiales, pour la CGT rien. En fait, à travers la loi de finances de la sécurité sociale (LFSS) et l’arme fiscale (CSG, CRDS) c’est l’État et le parlement qui contrôlent la protection sociale.
Obsession de l’équilibre au détriment des assurés
Jusqu’en 1967, la Sécu est gérée globalement, le déficit d’une caisse peut être compensé par une autre. L’exigence d’équilibre de chacune des branches sous le chapeau des LFSS amène à une véritable chasse au gaspi et à des mesures sans cesse plus coercitives au détriment des assurés sociaux : réformes successives des retraites conduisant à des baisses effectives des pensions (-20% en 20 ans) généralisation du contrôle sur les dépenses (déremboursements de prescriptions,
fermetures de lits et même d’hôpitaux) plutôt que de renforcer les recettes. Avec, en 2014, le Pacte de responsabilité, 40 milliards en allégements de charges sociales, (au détriment de la protection sociale), la fin du « trou de la Sécu » annoncé ne peut être qu’au prix d’un ensemble de mesures de réduction des prestations et du renoncement aux soins par les patients eux-mêmes. L’ambition initiale de prise en charge de 50% des dépenses s’était améliorée jusqu’à un taux de 75% ; elle est
peu à peu remise en cause dans la pratique : si des affections de longue durée sont prises en charge à 100%, c’est au prix d’une réduction drastique des autres.
Illisibilité d’ensemble du système Le maintien d’un secteur privé, allant même jusqu’à des secteurs privés dans les hôpitaux publics, la pression du corps médical au nom de la liberté d’installation et de tarification, conduisent à remettre en question les mesures positives (CMU, Tiers payant). Et jusque dans le secteur conventionné, l’ANI laisse une liberté de dépassement jusqu’à 100% avant pénalisation. A ces deux secteurs (privé et public) s’ajoute de fait le secteur des mutuelles, qui conventionnent à leur tour des réseaux de médecins ou de maisons de santé. A travers la généralisation (positive) à tous d’une complémentaire santé, l’ANI bouleverse ce secteur, l’ouvre à une concurrence acharnée et installe définitivement les assurances privées sur le « marché » de la protection sociale. La multiplication des acteurs conduit à l’illisibilité du système et à sa privatisation.
Il n’est pas trop tard
Pour éviter que les « Jours heureux* » ne s’obscurcissent, pour que revive « La sociale *», il ne suffira pas que la droite et l’extrême droite ne puissent appliquer leurs programmes, il faudra également que l’ensemble des forces vives, syndicats, mutuelles et en premier lieu les assurés sociaux, se mobilisent effectivement. Il n’est pas trop tard.
Stéphane BATIGNE
Protection sociale : petit historique
Mars 1944 : Le Conseil National de la Résistance propose un « plan complet de sécurité sociale visant à assurer, à tous les citoyens, des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail ».
Octobre 1945 : Création de la Sécurité sociale avec reconnaissance du rôle des mutuelles et maintien des régimes dits spéciaux et fonctionnaires de l’État
1946 : Inscription au préambule de la Constitution du droit à tous « à la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs »
1947 : retraite complémentaire des cadres. Elections des administrateurs
1952 et 1961 : Assurance vieillesse puis assurance maladie des agriculteurs
1967 : ordonnances séparant les risques en 3 branches et caisses distinctes (santé, vieillesse, famille)
1975 : Assurance vieillesse généralisée, incluant en 1978 les membres du clergé
1982 : retraite à 60 ans
1988 : revenu minimum d’insertion (RMI) devenu RSU en
1990 : Création de la CSG prélevée sur l’ensemble des revenus des personnes physiques (pas des entreprises)
1993 : réforme des retraites du privé par augmentation durée de cotisation
1996 : mesures sur les déficits, caisse d’amortissement financé par tous (CRDS), nouveau type de loi, Loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS) pour un contrôle par branche
1997 : Carte vitale
1999 : Couverture Maladie Universelle (CMU)
2003 : Réforme des retraites Fonction publique, décotes (et surcotes !) report de l’âge légal à 60 ans, augmentation durée de cotisation. Découplage salaires/pensions
2004 : médecin traitant, médicaments génériques, contrôle par objectifs/résultats
2006 : régime social des Indépendants (RSI)
2009 : loi Hôpital Patients Santé Territoire créant les agences régionales de santé (ARS)
2010 : réforme des retraites, 60 à 62 ans
2012 : dispositif carrières longues
2013 : Accord National Interprofessionnel, (ANI) généralisant les complémentaires-santé, dépassements d’honoraires acceptables jusqu’à 100%
2014 : Pacte pour l’emploi, allégement des « charges » patronales.
« Les Jours heureux» : film de Gilles PERRET sorti en 2013, sur la période de formation du Conseil National de la résistance
« La Sociale» : film de Gilles PERRET 2016 sur la naissance de la Sécurité sociale
La vie militante ne s’arrête pas à la retraite ! Au contraire, les retraités du SNES-FSU participent activement aux mobilisations en cours (protection sociale, dépendance etc) et apportent leurs analyses à des dossiers intergénérationnels.
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