Avec les gilets jaunes de « Carcassonne en colère »

Pas si simple, quand on cumule plus de 40 années de militantisme syndical et politique, d’enfiler un jour son gilet jaune et de se présenter tout sourire au QG, installé à quelques mètres du péage de l’autoroute… Parce qu’ici, commence un monde différent : beaucoup de chômeurs ou sans-emploi, de retraités aux pensions minables, de personnes seules, de déracinés, de touche-à-tout et de marginalisés, très peu de syndiqués, beaucoup de non-votants aux élections, une grande défiance vis-à-vis du « syndical » et du « politique », une colère toujours prête à exploser, des difficultés à communiquer, à tenir une discussion qui dure, une méfiance de l’autre qui font que c’est compliqué de montrer patte blanche. Ajoutons l’omniprésence des idées et des militants plus ou moins cachés du RN, le manque de tout : eau, lumière, bois, nourriture, abri… Le décor est planté, et il n’est pas très reluisant.

Il a fallu d’abord parer au plus pressé : les uns, les débrouillards, bricoleurs et apprentis ont monté le QG à grand renfort de palettes et de bâches (après avoir été expulsés de l’autoroute) sur un terrain prêté par le Département, pendant que les autres organisaient la solidarité qui n’a jamais cessé (eau, bois, journaux, pain, fruits …offerts quotidiennement par les commerçants et/ou la population).

Une fois installés, et tout en participant activement aux mouvements sociaux en cours, la vie collective s’est organisée, la discussion s’est enfin débridée, les AG préparant collectivement les actions de la semaine et les rassemblements du week-end. C’est là que le groupe a construit son identité, défini son fonctionnement (un porte-parole et des référents), son expression et ses valeurs (refus de toute violence, des casseurs et volonté de rester liés à la population).

Certes, ces choix ont écarté quelques militants parmi les plus violents et les plus proches du RN qui ont choisi de continuer leurs actions en fondant un autre groupe, mais ils ont aussi complètement libéré la parole, permis de multiplier des discussions constructives et saines et d’éviter de sombrer dans une violence qui nous aurait déconsidérés. Beaucoup ont rejoint les groupes de parole, affiné leur raisonnement, mis de l’ordre dans leurs idées, participé activement à la réflexion collective.

La décision a été prise d’élaborer collectivement un questionnaire revendicatif devant servir de base à une Consultation Départementale Citoyenne (il s’agissait de choisir 15 des 67 propositions pour changer la France, de s’identifier et de signer) qui serait proposée à la signature des Audoises et Audois par diffusion militante autour des grands magasins et des manifestations. Contre toute attente, une grande majorité des responsables de grands magasins ont accepté notre présence, certains allant jusqu’à nous fournir tables, chaises et local.

Cette initiative n’est pas passée inaperçue des départements voisins et même au-delà puisque 29 départements nous ont demandé le questionnaire pour reprendre notre initiative, qui est devenue la Consultation Nationale Citoyenne

Dans l’Aude, après avoir « formé » nombre de binômes chargés de proposer massivement le questionnaire à la signature, nous avons récolté 10 000 documents remplis par la population avant que ne s’achève le Grand Débat. Ils ont été dépouillés, analysés, classés et restitués au cours d’une manifestation publique en centre-ville en présence de la population et de la presse.

Au niveau national, ces 5 mois et demi de luttes n’ont pas changé grand-chose, au-delà de l’affichage de l’incurie et de la violence aveugle de ce gouvernement mal élu et incapable.

Au QG, sur le rond-point Charlemagne (le lycée agricole éponyme se trouve juste en face), bien des choses ont changé : les discussions s’enchaînent sans cesse, dans la bonne humeur, pimentées de quelques bons mots ou plaisanterie ; les tours de garde du QG, de jour comme de nuit, permettent un brassage de militants qui aujourd’hui ne s’appellent plus que par leur prénom. Les isolés, les retraités ont trouvé une nouvelle maison où malgré les problèmes et soucis, règnent la joie de vivre et l’entente. Les visiteurs et amis viennent toujours aussi nombreux, reconstruire le monde autour d’un café ou commenter les dernières nouvelles. Ici, la solidarité marche dans les deux sens : aux soutiens qui leur apportent eau, bois de chauffage, friandises ou nourriture, les gilets jaunes, le dimanche matin, se mobilisent en nombre pour nettoyer et débarrasser les embâcles des jardins et vignes souillés par les terribles inondations qui ont endeuillé notre département, il y a quelques mois.

La fatigue aidant, certains, trouvant le temps long, demandent : « Dis, si on n’y arrive pas, et qu’on soit obligé de lever le camp, tu crois qu’on pourra se voir, après, tous ensemble, de temps en temps ? »

« Bien sûr, mon ami… Mais pour le moment, on ne lâche rien ! »

En venant de Toulouse par l’autoroute, prenez la direction de Narbonne, le QG est au prochain rond-point ; arrêtez-vous, le café est chaud.

Dans cette attente, prenez le temps d’aller voir le très beau film de François Ruffin et Gilles Perret : « Je veux du soleil ». Vous comprendrez encore mieux ces quelques lignes…

Allez, il reste beaucoup à faire ; moi, j’y retourne…

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La vie militante ne s’arrête pas à la retraite ! Au contraire, les retraités du SNES-FSU participent activement aux mobilisations en cours (protection sociale, dépendance etc) et apportent leurs analyses à des dossiers intergénérationnels.

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