UN ÉCLAIRAGE

La brutale évolution de la sphère géopolitique est sidérante et anxiogène. Nous mesurons comment le droit international est non seulement contourné mais totalement bafoué. L’invasion de l’Ukraine par la Russie, la purification ethnique en cours à Gaza, la guerre en République démocratique du Congo… Même la France tourne le dos aux décisions de la CPI (Cour pénale internationale) visant Netanyahu.
Tous ces évènements semblent relever d’un chaos planétaire amplifié par l’accession de Trump à la tête des États-Unis d’Amérique avec une valse de décisions radicales et disruptives. Pour ne pas se laisser étourdir, il n’est pas inutile de se plonger dans les travaux de chercheurs1 qui analysent les mutations du capitalisme depuis 2010.
Arnaud Orain, économiste et historien, propose dans son dernier ouvrage, Le monde confisqué2, un nouveau séquençage de l’histoire économique par l’alternance de phases libérales et de « capitalisme de la finitude » : XVIème-XVIIIème siècle, 1880-1945 et 2010 à nos jours.
Concernant cette dernière séquence, le capitalisme dans sa version néolibérale est dans une impasse : changement climatique, épuisement des ressources énergétiques et minérales, effondrement de la biodiversité, blocage des gains de productivité…, l’accumulation du capital est freinée par tous ces phénomènes. Le monde est fini, le gâteau ne grandira plus. Les nouveaux espaces de rentabilité gagnés par les uns seront perdus par les autres : la guerre pour la captation des ressources et des terres est ouverte, sans oublier dans les ressources, les bases de données des big data.
Les puissances hégémoniques (USA, Chine, Russie…) cherchent, chacune pour leur compte, à organiser leurs relations marchandes en « silos » au sein desquels le commerce serait captif et fondé sur des rapports de force, les amis ne sont plus des alliés mais deviennent des vassaux. La prédation devient le mécanisme premier et la sécurité du transport maritime un enjeu central d’où le rôle croissant de la marine de guerre en protection la marine marchande, elle-même équipée d’armes.
Dans un tel contexte, la contractualisation bilatérale (d’État à État) marginalise le multilatéralisme et l’OMC (organisation mondiale du commerce) voit son rôle s’affaiblir. Certes, les règles de l’ordre libéral (ordo-libéralisme) sensé cadrer la concurrence persistent à différents niveaux mondiaux et européens mais la stratégie des grandes firmes est de faire un saut dans l’au-delà de toute régulation.
Arnaud Orain précise : « L’émergence de nouvelles compagnies-États est, en effet, un des traits saillants de notre époque mais leur nouveauté n’est pas aussi grande qu’il y paraît. Les monopoles des nouvelles technologies américains et chinois ont en effet beaucoup de points communs avec les Compagnies des Indes. Elles ont été et restent, d’abord, soutenues financièrement et politiquement par la puissance publique ».
Ce nouveau monde peut se décrire comme « libertarien » avec l’objectif de la destruction totale de l’État mais derrière l’affichage anti- étatiste se cache un hyper-étatisme. D’une part parce que le pouvoir d’État militaire et policier monte en puissance et, d’autre part, parce que certaines firmes multinationales, elles-mêmes, veulent devenir État en s’arrogeant des attributs de la souveraineté (faire la loi, la justice et la police). Le retour des empires se conjugue à une crainte de mobilisations sociales d’où une extrême droitisation accélérée détruisant la démocratie.
Le ralliement des PDG des géants des technologies de la « tech » à Trump, le rôle donné à Elon Musk pour détruire l’État fédéral US, les attaques contre la Science, la liberté de recherche, la chasse aux migrants, la volonté d’annexer le Groenland, le Canada, de s’assurer le contrôle du canal de Panama, l’appropriation des terres rares et critiques d’Ukraine, la fixation de tarifs douaniers très élevés… autant de décisions et d’annonces de la part des USA qui font écho aux thèses d’Arnaud Orain.
Les approches de ce livre font l’objet de controverses et il ne peut, bien sûr, à lui seul permettre une compréhension exhaustive des tourments d’aujourd’hui. Un éclairage incontournable, cependant.
Jean Luc LE GUELLEC
1 En plus de l’ouvrage très brièvement présenté ici, nous pouvons signaler le livre de Quinn Slobodian, Le capitalisme de l’apocalypse (Ed du Seuil), celui de Cédric Durand, Techno-féodalisme (Zones) et celui de Benjamin Lemoine, Chasseurs d’États (Ed La Découverte).
2 Le monde confisqué. Essai sur le capitalisme de la finitude. Éditions Flammarion. Janvier 2025.
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