Le Jour d’avant
Car nous sommes de la génération née avec les espérances de l’après-guerre, celle qui a vécu la décolonisation et Mai 68, celle qui a combattu pour une société plus égalitaire, pour gagner une protection sociale de haut niveau et des libertés démocratiques, celle qui a eu le sentiment d’avoir éloigné les grandes peurs du passé. Certes nous savions que tout cela avait été fragilisé par 30 années d’offensive revancharde des « néo-libéraux », l’étiquette donnée aux perdants de l’après-guerre.
Le jour le plus long
Mais nous ne nous imaginions pas confinés pendant des semaines dans l’isolement, requis de prendre nos distances avec les générations suivantes avec lesquelles nous avons passé notre vie à construire des liens de solidarité, alors que les directives de l’État nous obligent à nous séparer physiquement et dans la douleur de nos enfants et petits-enfants.
Sans avoir d’autre perspective que le dialogue numérique, les réunions virtuelles, et cette interrogation insistante sur quand viendra le jour d’après.
D’acteurs de notre Histoire, nous serions donc devenus des cibles passives désignées par l’âge, condamnées à l’espoir aléatoire d’échapper à l’unité de réanimation. Hier admis du bout des lèvres, le tri des patients pour sauver les vies est maintenant pleinement assumé au nom de la saturation des capacités hospitalières. Souvent, la « barrière d’âge » est fixée au-delà de 80 ans, parfois en deçà.
Le sort des personnes âgées « confinées » dans leur EPHAD est de plus en plus qualifié de « tragique » comme s’il n’y avait plus grand-chose à faire, pour des gens dont le décès n’avait pas même pas l’honneur de figurer dans les statistiques médiatiques du professeur Salomon.
Le Jour d’après
Hier disqualifiés comme « privilégiés », les retraités tendent à devenir avec cette crise sanitaire des « victimes légitimes ». Nous ne sommes ni l’un, ni l’autre. Nous revendiquons d’être des combattants. Et nous l’avons prouvé dans les combats avec les actifs contre la loi travail, les réformes régressives dans l’Éducation nationale contre la destruction de l’Hôpital public, et contre le projet de la retraites par points. Car ce sont nos combats et ils nous concernent. Nous nous battons aussi pour nos revendications plus spécifiques. Et nous savons que ce n’est pas fini de nous battre pour un monde meilleur. On est là, on est là…..
Au sein de l’Union européenne, nous avons vu l’Italie abandonnée face au virus, mais nous nous souvenons que pour les migrants, c’était pareil, que les politiques d’austérité imposées par les troïkas ont détruit les fragiles systèmes de santé d’Europe du Sud, que la Grèce a été sauvagement écrasée en 2015. Nous savons que construire de la solidarité entre les peuples dans un monde où c’est la concurrence qui fait la loi n’est pas facile, c’est pourquoi nous essayons d’échanger avec les retraités d’autres pays d’Europe.
Protéger la population « quoi qu’il en coûte » a claironné E. Macron. En euros ? En renonçant au credo libéral ? « Seul le choc avec le réel peut réveiller d’un sommeil dogmatique » a suggéré Alain Supiot, non sans éprouver un certain doute. Défendre les services publics, ? Revenir à l’État contre le Marché ? Relocaliser des productions pour retrouver une souveraineté nationale ?
Mais de quel État s‘agit-il ? De celui qui demande timidement aux actionnaires d’entreprises recevant une aide publique de renoncer à leurs dividendes et lance un appel aux dons ou de celui qui rétablirait l’ISF et supprimerait la « flat tax » ? D’un État rongé par les lobbies et par les va et vient entre les technocrates du public et ceux du privé ou d’un État qui partirait des besoins du peuple?
D’un État qui, s’inquiétant de la colère des confinés, s’attaque aux libertés publiques au nom de l’urgence ? D’un État vertical qui gouverne par ordonnances avec les experts et décide sans délibération démocratique, sans les citoyens ? D’un État qui, pour la défense des « intérêts nationaux » se représente en « guerre » contre des États concurrents et qui préfère la xénophobie à la coopération internationale ?
Nous savons que ces questions se posent dès maintenant
Daniel Rallet
La vie militante ne s’arrête pas à la retraite ! Au contraire, les retraités du SNES-FSU participent activement aux mobilisations en cours (protection sociale, dépendance etc) et apportent leurs analyses à des dossiers intergénérationnels.
Contact enretraite@snes.edu