Faut-il vraiment voir tout en noir ?

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Certes, il y a le côté obscur des forces qui montent et l’absence de perspectives qui éclairent vraiment. Mais cette crise reconnue comme historique ébranle bien des certitudes.

Discrédit des politiques

Elle creuse de multiples failles dans ce « ciel bas et lourd qui pèse comme un couvercle » depuis plusieurs décennies. Et s’il est évident que nos ailes paraissent bien timides, face aux « infâmes araignées » qui « viennent tendre leurs filets au fond de nos cerveaux », elles écartent néanmoins les murs qui ferment depuis trop longtemps notre horizon.

Cette crise a pris à revers plusieurs décennies de politiques néo-libérales et discrédité le discours dominant aux yeux de larges parties de l’opinion publique, bien au-delà des cercles militants.

Elle a impacté de nombreux groupes sociaux, y compris parmi ceux qui ont été des partisans de l’aventure néo-libérale. Elle atteint même la psyché de la société au plus profond des individus.

C’est une grosse différence avec la crise de 2008 qui a été davantage circonscrite.

Dans la population, il y a aujourd’hui une très grande défiance vis à vis des institutions politiques et une très grande exigence démocratique. Les libertés publiques sont menacées par une succession de lois qui interpellent les milieux du droit et de nombreux citoyens.

L’appareil d’État apparaît noyauté par les lobbies et les managers, la corruption et les privilèges fleurissent.

Les piliers du discours néo-libéral, dette et austérité, sont ébranlés ; la question des inégalités est devenue brûlante ; la protection sociale et les services publics sont relégitimés par la crise.

Les tensions dans les quartiers populaires s’accroissent, les discriminations prospèrent.

Évolution des attentes et des pratiques

Les comportements évoluent. Des cadres, un temps valorisés comme « premiers de cordée », quittent Paris pour goûter aux plaisirs de la ruralité et des villes moyennes ; l’image des étudiants fréquentant les queues du Secours populaire nous interpelle ; la culture hier réservée aux marges devient « essentielle » dans la « société de marché ».

Le consommateur est devenu soupçonneux et critique, des modes de vie changent, les communautés de production et de consommation se développent, la proximité et la gratuité sont érigées en valeurs, la mobilité se diversifie… Même les promesses du numérique sont questionnées, c’est dire.

À l’heure actuelle, beaucoup de pratiques nouvelles redessinent un autre horizon, des discours dissidents fendent l’armure néo-libérale, des failles apparaissent dans le camp conservateur, beaucoup plus que lors de la crise de 2008. Elles sont plus profondes et portent sur l’ensemble de la sphère sociale et politique.

Des personnalités « main stream » se félicitent du « quoi qu’il en coûte » et de l’abandon temporaire de la doxa libérale, s’inquiètent d’un retour qu’ils jugent prématuré à la politique d’équilibre des comptes budgétaires et sociaux, y voyant un aventurisme social dangereux, comme en témoigne la décision prise par le gouvernement de commencer à appliquer la « réforme » de l’assurance chômage en période d’explosion du chômage.

Maintenir sur une longue période un sous investissement public dans l’Éducation, la santé, la transition écologique leur apparaît dangereux. L’échec retentissant du vaccin français a pesé lourd dans cette prise de conscience.

Commence à poindre la crainte que le pays de Mbappé ne soit plus capable de suivre l’allure de Sleepy Joe et se fasse décramponner en Europe.

Par ailleurs, la taxation des paradis fiscaux et des multinationales devient un objet crédible et désirable. La réforme de la fiscalité n’est plus un tabou mondial, mais reste une idée fixe en France.

Des batailles à continuer

Cela ne veut pas dire que les « jours heureux » sont pour demain matin, mais qu’il serait mal venu de sous-estimer les faiblesses du camp adverse.

Des mouvements sociaux très importants chez les personnels qui ont précédé la crise sanitaire actuelle ont été autant d’alertes qui n’ont pas été entendues.

Ont été mis en cause le sous-financement durable de l’hôpital public, la fermeture des lits, les recrutements insuffisants, le bas niveau de rémunération des infirmières, des aides-soignantes, des conditions de travail déplorables, la gestion par des managers privilégiant la rentabilité…

Non seulement la crise de la Covid a porté à leur maximum toutes ces tensions, mais en plus, malgré plus de 100 000 morts, le gouvernement poursuit la même politique pourtant responsable de la crise sanitaire ! Ce qu’il appelle « garder le cap ».

La mobilisation pour la santé publique est une bataille concrète, ce n’est pas une répétition d’incantations générales. Elle s’est efforcée d’obtenir des résultats tangibles et a obtenu un soutien très large.

Avec, comme enjeu derrière, la question de l’avenir des services publics.

Lors du « Ségur de la santé », le grand mouvement social de soignants qui, avant la crise de la Covid, s’était pas à pas construit dans une succession de luttes, et qui avait réussi ce que beaucoup de connaisseurs considéraient comme improbable, à savoir l’unité des différents personnels de santé, n’a pu obtenir qu’une maigre prime, et rien sur les embauches, les conditions de travail, avec un ONDAM pour les hôpitaux publics inférieur à la croissance de ses besoins.

La bataille est loin d’être achevée.

Construire un autre avenir

Notre bataille est d’opposer un autre récit qui donne envie, qui considère l‘avenir comme une promesse, et l’espoir comme le fondement de la révolte.

On aurait pu rêver après le Ségur d’une campagne sur l’irresponsabilité de la politique du gouvernement qui aurait pu réunir un cercle très large et très divers de forces capable de mettre en difficulté E. Macron et de proposer des alternatives. À condition de définir une stratégie qui permette de construire cette coalition. Or l’enjeu n’est pas mince : c’est un choix de société et il serait temps d’imposer ce débat.

Mais aucune force ne semble être en mesure en France de prendre aujourd’hui l’initiative de lancer un tel processus.

Le mouvement social est dynamique, mais très fragmenté.

Au mieux, on peut construire des coalitions de fragments, mais pour aller au-delà, au niveau d’un processus qui aurait l’intelligence politique nécessaire pour inverser le rapport de forces avec le pouvoir, il faut un travail démocratique qui demande du temps pour trouver un langage commun, définir des objectifs, s’entendre sur les formes de mobilisation, se donner les moyens de communication, tout en conservant la spécificité et la dynamique des parties prenantes.

C’est le pari de « Plus jamais cela ».

Construire un programme en passant par l’expérience des pratiques sociales.

Mais c’est un chemin difficile. Et le temps manque.

Daniel Rallet

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La vie militante ne s’arrête pas à la retraite ! Au contraire, les retraités du SNES-FSU participent activement aux mobilisations en cours (protection sociale, dépendance etc) et apportent leurs analyses à des dossiers intergénérationnels.

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