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La démocratie sociale à l’épreuve de la crise. Un essai de comparaison internationale est un rapport de l’IRES (Institut de Recherches Economiques et Sociales) publié en o c t o b r e 2013. Les auteurs sont nombreux dont Jean-Marie Pernot. Il est issu d’une commande de la CGT afin de mener une réflexion autour de la notion de démocratie sociale.
Il s’agit plus exactement de mesurer en quoi l’existence de dispositifs participatifs, associant peu ou prou les travailleurs à la conduite des politiques publiques ou des politiques d’entreprises, sont ou non un facteur de différenciation dans les modes de gestion de la crise depuis 2008. Le premier point de la première partie tente de définir ce que l’on entend par démocratie sociale.
La démocratie sociale, une notion à contours variables
La notion de démocratie sociale fait son retour depuis quelques années dans les débats fran-çais où elle manque souvent de précision. Dans une approche comparative, la notion peine à être traduite dans d’autres langues. En anglais ou en allemand, la traduction de « démocratie sociale » se dit « social democracy » ou « Sozialdemokratie », ce qui n’est pas le sens qu’on lui donne en France. D’autres notions assez proches sont plus utilisées au niveau international comme celle de « démocratie industrielle » introduite en Angle-terre à la fin du XIXème siècle par Béatrice et Sydney Webb, ou le concept de « démocratie économique » particulièrement travaillé par l’ADGB allemand dans les années 1920.
On ne prétend pas ici trancher scientifiquement le contenu de cette notion mais il convient cependant d’établir une convention pour que l’on sache mieux de quoi l’on parle, notamment lorsqu’il s’agit de comparer des systèmes sociaux appartenant à des régions du monde très différenciées. On se propose donc de rassembler sous le vocable de « démocratie sociale », un ensemble de caractéristiques, non nécessairement cumulatives, com-prenant cinq dimensions.
1 – Une condition tout d’abord indispensable est l’existence d’un système politique démocratique comprenant au moins les libertés d’association et d’expression ; la liberté et l’indépendance syndicales en sont le corollaire. Sans ces libertés élémentaires, la démocratie sociale est vide de sens.
2 – La démocratie sociale suppose ensuite l’existence de dispositifs assurant une concertation, régulière ou occasionnelle, entre l’État, les organisations d’employeurs et les organisations représentatives des travailleurs. Un tel État démocratique doit accepter une sphère de relations où l’autonomie des autres acteurs sociaux soit reconnue et respectée.
3 – Cette sphère autonome se manifeste par l’existence d’un ensemble de procédures de négociations collectives, que ce soit au niveau national, provincial ou de branche ou encore d’entreprise sous certaines conditions d’encadrement.
4 – Ces conditions sont contenues dans un ensemble de droits ou de règles d’ordre public social assurant la protection des travailleurs, contrebalançant ainsi l’inégalité fondamentale existant dans les rapports de production entre le capital et le travail. Ces droits incluent les droits fondamentaux définis par l’Organisation internationale du travail (OIT) mais vont au-delà, ils font plus largement partie des conditions nécessaires à l’encadrement de la négociation au niveau de l’entreprise où se marque particulièrement l’inégalité des parties.
5 – Une démocratie sociale avancée prévoit également des droits assurant la possibilité de participation des travailleurs à la décision sur leur lieu de travail, sur la vie de l’entreprise par l’intermédiaire de leurs représentants, voire directement sur l’activité de travail elle-même, avec, au minimum, le droit d’être informé et consulté.
Définie avec autant de critères, la démocratie sociale se montre plus comme un idéal que comme un modèle acquis. Il n’existe guère de pays ayant atteint ce stade ou qui, l’ayant approché, ait pu s’y maintenir. On parlera donc non pas d’un état de démocratie sociale mais d’un processus, toujours à reconstruire, allant vers ou s’éloignant du modèle idéal ainsi défini.
Cette définition n’est qu’indicative car il faudrait encore s’entendre sur le contenu au-delà des clauses formelles : ce n’est pas parce qu’existent une concertation ou une consultation, ce n’est pas parce qu’un « pacte » a été conclu entre les interlocuteurs sociaux qu’il s’agit nécessairement de la construction d’un compromis social. Par exemple, une concertation débouchant sur la non prise en compte du point de vue syndical ou ignorant les termes d’un accord existant entre les employeurs et les syndicats de travailleurs doit-elle être rangée dans le répertoire de la démocratie sociale ou n’en est-elle qu’un simulacre ? Le cas n’est pas rare : dans un rapport conjoint de l’OIT et de la Banque mondiale (OIT, Banque mondiale 2013), un état des consultations sociales dans la crise a pu être établi pour 39 pays où l’on trouve de nombreux cas de consultations formelles de ce type qui vont de la Pologne, la Serbie, la Lettonie, le Monténégro, jusqu’à la fédération de Russie, l’Indonésie ou, plus près de nous, l’Espagne. Dans ces pays, des consultations ont eu lieu, parfois des positions communes ont été proposées au gouvernement mais, généralement, l’unilatéralisme des gouvernements l’a emporté.
Il y a des cas complexes comme ceux de pays qui ne connaissent aucun échange au niveau national entre les trois acteurs classiques des relations industrielles « État-employeurs-salariés » mais qui connaissent des échanges intenses au niveau des secteurs ou des provinces. Le contenu en termes de démocratie sociale de ces échanges doit à chaque fois être apprécié dans le contexte des pays ou des grandes régions où ils ont cours.
Autre interrogation, un accord conclu sans la ou les principale(s) centrales syndicales vaut-il « pacte social » ? Ce n’est pas qu’une question française, elle se pose en Europe dans de nombreux autres pays (Italie, Portugal), mais aussi au-delà, en Europe centrale et orientale par exemple.
Il est difficile enfin de juger dans un certain nombre de cas si un changement dans les relations sociales se présente comme un pas vers plus de démocratie sociale ou s’il n’est qu’un arrangement momentané dans une situation de crise particulière. On peut parcourir le monde et classer ainsi les pays selon qu’ils sont ou non engagés dans des processus d’extension de la démocratie sociale ou dans de simples modalités d’adaptation à une conjoncture passagère. Dans les deux configurations, la question demeure de savoir si
l’existence préalable d’éléments substantiels de démocratie sociale ont été un facteur plus favorable pour la traversée de la crise. Le corollaire de la question serait aussi de savoir si la crise a elle-même altéré les mécanismes préexistant de démocratie sociale de manière provisoire ou au contraire, si elle a emmené les systèmes de relations professionnelles sur d’autres voies de manière durable.
Le manque de recul laisse attendre plus de questions que de réponses. On peut affirmer d’entrée de jeu que d’autres facteurs interviennent : le rôle de l’État, la situation économique du pays, son type d’insertion sur le marché mondial, la puissance relative des syndicats avant la crise, etc. En Europe, jouent également non seulement la place dans l’échange économique mais aussi le positionnement relatif du pays dans la hiérarchie des décideurs de l’Europe. L’Union européenne n’est pas que la libre association entre États inscrite dans les traités successifs mais un espace structuré par des rapports de domination, les uns produisant la norme, les autres étant invités à s’y plier.
Extrait du rapport de l’IRES 2013 La démocratie sociale à l’épreuve de la crise. Un essai de comparaison internationale. Rapport Ires n°04/2013 Commanditaire : CGT
Frédéric LERAIS, Jean-Marie PERNOT, Udo REHFELDT, Catherine VINCENT avec le concours de J. FANIEL, M. CAPRON et B. CONTER, N. PROKOVAS, B. NACSA et L. NEUMANN
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