Un mécanisme porteur d’inégalités
Une loi « du bien vieillir » qui ne règle rien, pas de loi de programmation ambitieuse pour le secteur de la perte d’autonomie, dans une situation catastrophique, mais un projet qui ressurgit : celui d’une assurance dépendance obligatoire du Comité consultatif du secteur financier (CCSF).
Pour l’instance publique de concertation qui en a fait la proposition le 16 janvier 2024, l’objectif est de répondre à une prise en charge complexe et insuffisante dans un contexte de vieillissement de la population : 4 millions de personnes âgées seraient en perte d’autonomie en 2050. En établissement, le reste à charge est de 2000 euros en moyenne et nombre de personnes à domicile ne dépensent pas leur plan d’aide, faute de moyens financiers. Le CCSF constate aussi que la 5ème branche (dont nous contestons la création) ne couvre pas les besoins de financement.
La recommandation du CCFS
Il s’agit d’un projet détaillé d’assurance obligatoire et mutualisée, sur proposition de France Assureur et de la FNMF, pour permettre de financer la prise en charge de la perte d’autonomie. Ce « contrat dépendance solidaire » vise à la fois à limiter le reste à charge des ménages et à privilégier le maintien à domicile. Le projet n’a suscité aucune opposition lors du vote des membres de l’institution qui comprend les représentant·es des deux chambres du parlement, du secteur du crédit et de l’assurance, des organisations syndicales représentatives (la FSU n’y siège pas) et patronales et des associations de consommateurs.
Le contrat dépendance obligatoire
Cette proposition suppose un dispositif obligatoire de prise en charge de la perte d’autonomie en partenariat avec les pouvoirs publics. Elle a pour objectif d’assurer une couverture d’assurance dépendance pour les personnes en situation de dépendance lourde, alignée sur les critères GIR 1 et GIR 2 de la Sécurité sociale (les personnes classées en GIR 1 et 2 sont celles que sont les plus touchées par la perte d’autonomie). Toute personne devenant dépendante GIR 1 ou GIR 2 serait couverte, dès la mise en place de ces contrats, via son contrat dépendance. La résiliation du contrat complémentaire santé n’entraînerait pas celle du contrat dépendance qui perdurera, avec ou sans souscription d’une nouvelle couverture complémentaire santé.
Le contrat proposé serait adossé aux contrats d’assurance santé complémentaire, dont disposent aujourd’hui 96 % des foyers, mais il n’y serait pas lié afin de permettre aux personnes âgées qui renonceraient à une complémentaire santé de le conserver [sic : quel aveu et quelle hypocrisie! Le texte reconnaît que la complémentaire santé, indispensable actuellement pour se soigner, coûte si cher que les personnes âgées seraient enclines à y renoncer au risque de leur santé]. Il serait en outre totalement « portable », c’est-à-dire transférable sur une nouvelle complémentaire en cas de changement d’assureur santé.
Le dispositif permettrait une prise en charge immédiate des personnes dépendantes, sous forme de rente, dès lors que l’assuré recevrait l’allocation personnalisée d’autonomie, avec des couvertures « identiques pour tous » et une grille tarifaire unique et transparente.
Le fonctionnement du Contrat Dépendance Solidaire serait piloté par une gouvernance collégiale, regroupant les organisations syndicales, les professionnels, les associations et les pouvoirs publics, Il serait géré par une équipe d’assureurs et placé sous l’autorité d’une gouvernance collégiale réunissant notamment les syndicats de salarié·es, les organisations patronales et des représentant·es des assureurs, des associations familiales et de l’État.
Ce mécanisme associant secteur public et privé, mutualisation et couverture universelle, rappelle celui en vigueur pour l’indemnisation des catastrophes naturelles, récemment conforté par une augmentation des primes.
Les niveaux de cotisations d’équilibre varieraient en fonction de l’âge du début des cotisations pour un montant de rente donné (300, 400 ou 500 euros). Par exemple, pour une rente mensuelle de 500 euros et un âge d’entrée dans le dispositif à 42 ans, la cotisation hors taxes et hors frais de gestion serait de 13,7 euros (base 2020). Une large mutualisation constituerait la condition d’une gestion au moindre coût.
Avis du SNES et de la FSU
Le rapport du CCSF précise (est-ce de l’ironie ?) : « La mise en place de ce nouveau contrat ne préjuge pas des ressources que la Sécurité sociale pourra mobiliser dans l’avenir et n’empêche en rien une future prise en charge du financement de la dépendance par l’État. Lorsque l’État sera effectivement en situation de pouvoir prendre en charge une partie du financement du reste à charge lié à la dépendance, cette organisation pourrait alors le cas échéant se transformer en « assurance complémentaire dépendance » ou se fondre dans un dispositif d’intérêt général. ».
Rappelons que Dominique Libault, en 2019, dans son rapport « Grand âge et autonomie » dénonçait le faible investissement de la France en matière d’autonomie, loin derrière les pays du nord de l’Europe et derrière l’Allemagne. Constat fait également par le Haut conseil de l’âge (HCFEA) qui, dans son rapport du 20 février 2024, dit : « La politique française du vieillissement est caractérisée par un défaut notable d’anticipation et de planification » et de demander « d’inscrire dans la loi l’impératif de prise en compte[…] des enjeux du vieillissement de la population et la garantie du droit des personnes âgées de vivre de façon autonome et en pleine citoyenneté, avec tous les soutiens nécessaires », réclamant, pour ce faire, « une planification de moyen long terme ». Rappelons aussi que le HCFEA s’était déjà prononcé contre le principe d’une assurance complémentaire obligatoire dépendance quand le projet lui avait été soumis.
Nous condamnons fermement ce projet qui vise, une fois de plus, à favorise l’entrée de la finance et des assurances privées. C’est un mécanisme porteur d’inégalités : les niveaux de la cotisation d’équilibre varieraient en fonction de l’âge de début de la cotisation et du montant de la rente mensuelle choisi. Résultat : on demande à l’individu de financer sa dépendance et on accroît ses dépenses de santé. La logique est toujours la même : un filet de sécurité pour les plus pauvres et engagement financier pour celles et ceux qui le peuvent.
Ainsi, faute de volonté politique pour prendre en charge la perte d’autonomie, résoudre le manque de personnels et le reste à charge exorbitant, l’État veut faire payer la population sans se préoccuper de la santé publique. Raison de plus pour se mobiliser pour une prise en charge de la perte d’autonomie à 100% dans la branche maladie de la Sécurité sociale.
La FSU rappelle son exigence d’une loi « grand âge » de programmation et de financement ainsi que d’un Service public national de l’autonomie.
Marylène Cahouet
La vie militante ne s’arrête pas à la retraite ! Au contraire, les retraités du SNES-FSU participent activement aux mobilisations en cours (protection sociale, dépendance etc) et apportent leurs analyses à des dossiers intergénérationnels.
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