De plus en plus de démarches administratives se font systématiquement en ligne (Sécurité sociale, Préfecture, impôts, CAF, Pôle emploi, La Poste, la SNCF …). Obtenir sa carte nationale d’identité ou la carte grise de son véhicule, s’inscrire au chômage, faire valoir ses droits à la retraite, tourne parfois à un véritable casse-tête, en particulier pour des personnes qui rencontrent des difficultés avec internet ou qui ne possèdent pas d’outils numériques.

Selon le baromètre du numérique 2022 établi par le CREDOC (Centre de recherche pour l’évaluation et l’observation des conditions de vie), 54% des Français ont des difficultés à effectuer ces démarches. Cette part est en forte hausse depuis 2020 de plus de 16 points.

Une dématérialisation problématique des démarches

Trois ans après avoir remis un premier rapport en février 2022 sur les inégalités d’accès au numérique, la Défenseure des droits, Claire Hédon, dresse un bilan contrasté des mesures mises en place par le gouvernement pour développer l’inclusion numérique.

En 2021, près de 115 000 réclamations ont été adressées à Claire Hédon dont 80% concernent les services publics. La dématérialisation des démarches administratives représente une part importante de ces dossiers, sur fond d’exclusion sociale et d’isolement.

Les personnes défavorisées et précaires sont particulièrement touchées : 40% des personnes non-diplômées, 22% des personnes pauvres et 24% des ménages bénéficiaires des minima sociaux, de nombreuses personnes étrangères, n’ont pas d’accès à l’internet fixe à domicile ou ne sont pas « formées ». Alors que leurs ressources et leurs conditions de vie dépendent des prestations du service public, le non-recours aux services en ligne conduit à un renoncement aux droits.

 La Défenseure des droits constate aussi que la charge et la responsabilité du bon fonctionnement des démarches repose souvent sur l’usager : « L’usager doit s’informer, s’orienter, remplir seul des formulaires en ligne, connaître le jargon administratif, mettre à jour son navigateur, s’adapter aux changements de sites, numériser des documents« . En effet, le rapport souligne le « renversement historique » du principe d’adaptabilité, « qui devient une qualité attendue de l’usager, plutôt qu’une exigence qui incombe au service ». La dématérialisation des services publics telle qu’elle est aujourd’hui mise en œuvre permet un « transfert de charge » problématique depuis les services publics vers les usagères et usagers et leurs aidant·es : information et orientation dans les démarches, saisie des dossiers et suivi des demandes (ce qui revient normalement aux agents publics), mais aussi coût de l’équipement, de l’abonnement à internet, etc.

Les personnes âgées face au tout numérique

Aujourd’hui, c’est l’âge qui reste le principal facteur d’exclusion, avec des taux de connexion très faibles chez les plus de 70 ans. L’illectronisme est plus répandu parmi les personnes âgées. Il affecte 61,9% des 75 ans ou plus, 24,2% des 60-74 ans (contre 2,4% des 15-24 ans).

La dématérialisation pose par exemple des difficultés dans l’accès à certains services de santé (prise de rendez-vous et résultats médicaux en ligne, téléconsultations). La gestion de l’espace numérique de santé peut être problématique.

À partir d’une enquête auprès de personnes âgées de 62 à 82 ans, Lucie Delias, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication, montre comment « le passage en ligne de certaines démarches provoque, pour les adultes âgé·es encore à l’écart des pratiques numériques, une obligation à « s’y mettre » qui ne va pas sans provoquer des difficultés, en particulier pour les retraité·es issu·es des classes populaires ».

Cet enjeu est particulièrement important pour les retraité·es les moins favorisé·es socialement, qui ont plus de probabilité d’être non-usagères ou usagers partiel·les, tout en étant plus souvent amené·es que les autres catégories de population à adresser des demandes aux services et organismes publics. « En raison de la faiblesse de leurs ressources économiques, ils sont plus souvent amenés à échanger avec les institutions publiques à la constitution du dossier de retraite, souvent complexe dans le cas de carrières précaires et discontinues, auquel peut par exemple s’ajouter la demande de l’Allocation Solidarité Personnes Âgées, tandis que la conjonction de leur âge et de leur niveau de diplôme fait qu’ils ont moins de chance d’être acculturés au numérique ».

L’universitaire élargit, de manière intéressante, les conclusions de son enquête : « La numérisation des services privés et d’intérêt général provoque une inquiétude chez un grand nombre d’adultes âgés, même chez ceux dont les compétences numériques sont relativement avancées ; la dématérialisation induit des difficultés d’ordre pratique, mais comporte aussi des enjeux plus symboliques, dans la mesure où elle questionne plus largement sur la place des plus âgés dans une société largement numérisée ».

Dématérialisation et déshumanisation

La suppression massive de postes dans les services publics due à la numérisation, avec un objectif central de baisse des dépenses, entraîne des fermetures de guichets et d’accueils physiques par des agent·es compétent·es et disponibles. Alors que le pouvoir pense économies, gain de temps et de productivité, les personnels pâtissent aussi de cette évolution (forte désorganisation et transformation profonde du travail, perte de sens du métier …).

Les maisons polyvalentes « France services » et le plan téléphonique des administrations ne sont que des solutions insuffisantes. Le numérique, tel qu’il est aujourd’hui utilisé, n’offre qu’un accès dégradé, rétréci et inégalitaire aux droits pour les usagères et usagers. Il est essentiel de garantir des services publics, dans les territoires urbains et ruraux, avec un accompagnement humain, de qualité et dans la proximité géographique.

  Marie-Laurence Moros

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