Il est instructif de revenir sur les différents méandres de son adoption et de revisiter la question de l’immigration à l’aune de cette loi mais aussi au regard de ce que pourrait être une politique solidaire d’immigration.

Un épisode politique instructif

Au départ, la loi était présentée comme équilibrée en facilitant la régularisation des travailleurs sans papiers pour en finir avec l’hypocrisie et éloigner les étrangers délinquants selon la formule de Darmanin « gentil avec les gentils et méchant avec les méchants ». En définitive, c’est un texte qui penche à droite voire à l’extrême droite.
Il est intéressant de revenir sur l’épisode politique qu’a constitué le vote de cette loi raciste et xénophobe avec le passage au Sénat et à l’Assemblée Nationale, la réunion de la commission mixte paritaire, la décision du Conseil constitutionnel.
Dès le départ, surfant sur l’émotion suscitée par le drame de la mort de notre collègue Dominique Bernard, le texte a d’abord été durci par la proposition d’expulsion, sans aucun recours à un juge, de tout étranger signalé comme dangereux par les services de renseignements.

L’infamie des amendements du Sénat et de la commission mixte paritaire avec la complicité du Président de la République et du gouvernement

Le texte tel qu’il a été voté au Sénat touche à tous les compartiments des droits des étrangers : l’entrée, le séjour, l’éloignement, la nationalité, la protection sociale … et, au-delà de la question des sans papiers, fragilise les étrangers en situation régulière et organise la fabrique de sans papiers.

De dangereuses mesures emblématiques :
• la suppression de l’AME (aide médicale d’État),
• la restriction du regroupement familial, de l’accès aux cartes pluriannuelles qui impliquent la maîtrise du français, et aux prestations familiales accessibles après 5 années de présence,
• la pénalisation des étudiants avec exigence d’une caution financière,
• la dénaturation de l’article 3 bis permettant aux sans papiers d’être régularisé·es par le travail en supprimant le plein droit c’est-à-dire l’obligation pour le préfet d’accorder un titre de séjour si l’étranger remplissait les conditions,
• la remise en cause du droit du sol,
• le rétablissement et l’aggravation du délit de séjour irrégulier supprimé en 2012 pour se mettre en conformité avec le droit européen,
• la systématisation des mesures d’éloignement y compris pour les parents d’enfant français ainsi que les jeunes entrés en France avant l’âge de 13 ans,
• la dégradation des conditions de rétention ainsi que du droit d’asile.

Ce texte en l’état a été voté par les sénateurs de droite et d’extrême droite mais aussi par ceux de Renaissance. Tous les poncifs d’extrême droite ont été admis et adoubés par un arc politique du RN à Renaissance en passant par le Modem et LR, sans compter l’intervention du Président de la République qui considère l’immigration comme un problème. Sa désinvolture et son irresponsabilité quand on lui posait la question de sa propre saisine du Conseil Constitutionnel suite à la commission mixte paritaire relevait de la provocation. Il a piétiné son engagement de tenir compte du vote de nombreux électeurs pour faire barrage au Rassemblement national. Marine le Pen n’a qu’à se baisser pour ramasser la mise !

Le Conseil constitutionnel a failli sur le fond

Si nous avons été soulagés par la décision du Conseil Constitutionnel, on constate qu’il ne s’exprime pas sur le fond en dehors de trois articles dont deux ont été assortis de réserves d’interprétation. Tous les autres sont des « cavaliers législatifs » qui pourraient être repris dans une autre loi dès que LR et et le RN en auront l’opportunité. Certes, les amendements les plus scandaleux ont été évacués mais le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur la conformité constitutionnelle de la quarantaine d’articles de la loi. Ainsi, une fois de plus, le Conseil constitutionnel, comme l’a indiqué Claire Rodier, juriste au Groupe d’information et de soutien aux immigrés (GISTI) « a failli à son rôle de gardien des droits »et a validé des atteintes sans précédent aux droits et aux libertés des étrangers.
Il en est ainsi, parmi bien d’autres dispositions mettant en cause les droits des étrangers en France,
• de la possibilité de renvoyer dans son pays d’origine une personne présente en France avant l’âge de 13 ans ou bien de supprimer de l’aide sociale à l’enfance les mineurs victimes d’une obligation de quitter le territoire (OQTF),
• de l’obligation pour les parents étrangers de s’engager à éduquer leurs enfants dans le respect «des valeurs et principes de la République »,
• de la systématisation des OQTF pour les demandeurs d’asile dès qu’ils sont déboutés.
L’AME va donner lieu à un dispositif réglementaire dans les mois qui viennent.

Comme l’indiquait Danièle Lochak ,professeure de droit public et ancienne Présidente du Gisti (de1985 à 2000) dans une interview à Alternatives Économiques: « On ne peut rien attendre du Conseil Constitutionnel lorsqu’il s’agit des droits des étrangers. Historiquement à quelques nuances et réserves, il a toujours validé l’ensemble des mesures votées par le législateur et accompagné sans ciller toutes les évolutions restrictives ».

Une politique migratoire humaine et respectueuse des droits s’impose

En dehors des lois de 1981 (loi Questiaux) de celle de 1984 (création de la carte unique de séjour et de travail) et de 1989 (loi Joxe), les 29 lois sur l’immigration depuis 1980 convergent toutes vers le durcissement des conditions d’accueil et la mise en cause des droits fondamentaux.
Des propositions sont faites par les associations qui chaque jour prennent en charge les migrants, et que partagent nos organisations syndicales.
Dans un premier temps, elles préconisent de déconstruire auprès de l’opinion publique, les préjugés que reprennent sans vergogne les politiques et des média, comme le «tsunami» ou «l’appel d’air» «le coût» que représente l’immigration. Elles proposent une régularisation large et durable des personnes sans-papiers. C’est la condition d’une sécurisation des personnes et des familles en améliorant leurs conditions de vie et permettant l’accès au travail, à la santé, au logement et à l’École. Ce serait une mesure de justice et d’égalité et aurait des répercussions positives pour l’ensemble de la société.
Il faut en revenir au droit international et aux droits fondamentaux notamment concernant l’externalisation du contrôle aux frontières comme en Libye ou Tunisie. Le mécanisme de « garantie collective » mis en place par la Cour européenne des droits de l’homme doit s’exercer pour rétablir tout citoyen dans son droit, quelle que soit la législation du pays ayant la ratifié la convention européenne des droits de l’homme.
Il faut en revenir à des relations «ordinaires» entre l’administration et les étrangers, de même nature que celles qui prévalent pour les citoyens français. Cela passe par des moyens affectés à l’accueil des migrants. La France compte entre 1600 et 1800 agents alors que l’Allemagne en a 5000 ! Les services préfectoraux ont perdu 14 % de leurs agents et les service de l’asile et de séjour ont été les plus touchés.
Enfin, une véritable politique d’intégration est à mettre en œuvre, centrée sur le travail mais aussi la maîtrise de la langue, l’accès à la santé, au logement et à la scolarité. Au contraire, certaines dispositions de la loi actuelle ralentissent cette intégration en augmentant le temps de présence pour accéder à la nationalité (10 au lieu de 5 ans) ou pour permettre le rapprochement familial (de 18 mois à 24 mois) par exemple. On inverse de manière hypocrite la logique, l’intégration devenant la condition pour obtenir le titre de séjour.
L’État notamment à partir de Sarkozy a démantelé les agences qui assuraient la politique d’intégration. Il a transféré de fait cette compétence aux associations dont, pour un certain nombre d’entre elles, l’État et les collectivités ont supprimé les subventions.
Pour en finir avec l’idée que l’étranger est l’intrus et le délinquant en puissance, le ministère de l’intérieur ne doit pas être le seul ministère responsable des politiques migratoires et associer les ministères de la Santé, du Travail, du Logement et de l’Éducation.

Évidemment, cette loi va avoir des conséquences terribles sur la vie quotidienne des étrangers et de leurs familles en France, qu’ils soient en situation régulière ou non, et va les précariser et les insécuriser de manière permanente les renvoyant au statut d’intrus voire de délinquants.
Les apprentis sorciers, qui ont permis le vote de cette loi, portent une responsabilité historique en ayant permis aux idées du FN (Rassemblement national aujourd’hui) d’être validées.
Les démocrates et les républicain·es continueront à défendre l’idée d’un autre modèle d’ accueil, de séjour et d’intégration des étrangers en France et à venir en aide aux personnes sans papiers et … elles/ils sont encore nombreuses et nombreux!

Dominique Balducci

[1]Alternatives Économiques, numéro du 13/01/2024, entretien recueilli par Céline Mouzon

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