Stigmatiser

« Lorsque l’État veut entreprendre une action peu populaire, il commence par créer de manière préventive l’opinion publique adéquate… », nous a prévenu Gramsci. Mobilisant une conception réactionnaire de la « valeur travail », pointant du doigt les prestations sociales coupables d’entretenir le chômage des chômeurs et la pauvreté des pauvres, gouvernement, droite et extrême droite ont réussi à faire de leur critique de l’«assistanat» un « bon sens » largement partagé, y compris parfois à gauche. S’appuyant sur du ressenti, cette focalisation permet de cliver au sein des classes populaires. Comme l’argumente Guillaume Allègre[i]: « Le gouvernement entend répondre à une lassitude à la solidarité, c’est-à-dire un ressentiment perçu grandissant de la part des contribuables ou de travailleurs pauvres qui font des efforts mais ont l’impression de ne pas s’en sortir mieux que ceux qui sont réputés se la couler douce au RSA. ».

Trier

Gérald Darmanin nous invitait à distinguer les « gentils » migrants des « méchants » migrants ; nous allons, de même, entrer dans « une logique de sélection des pauvres méritants et non méritants ». Guillaume Allègre précise « Conditionner le versement du RSA à la réalisation d’heures d’activités aura pour premier effet de réduire le recours à cette prestation et donc de sélectionner parmi ces pauvres-là ceux qui sont le plus méritants en termes d’effort d’insertion sociale et professionnelle et d’en exclure les autres ». La suppression de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) pour les demandeurs d’emploi en fin de droits s’inscrit dans cette logique. Si tous les minima sociaux sont insuffisants, leur traitement politique diffère selon la légitimité supposée d’octroi d’un revenu de transfert. Par exemple, l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et le minimum vieillesse augmente plus vite que le RSA.

Surveiller

Les chômeurs étant des « fainéants potentiels », France Travail intensifie les contrôles pour vérifier que les demandeurs d’emploi sont bien en recherche active. L’objectif est de multiplier par trois le nombre de contrôles chaque année d’ici à la fin du quinquennat .

Sandrine Foulon et Céline Mouzon[ii] constatent que « cibler les allocataires les plus pauvres sur lesquels vont s’exercer en priorité les contrôles des caisses d’allocations familiales : voilà ce que permet l’exploitation des données à grande échelle ». L’utilisation des algorithmes permet aux administrations sociales de déployer « une politique antipauvres ».

Punir

Les radiations des chômeurs se multiplient, parmi les motifs, le refus sans motif dit « légitime », celui à deux reprises d’une offre « raisonnable d’emploi »:il s’agit de faire accepter n’importe quel emploi à n’importe quelle condition.

Les deux précédentes réformes de l’assurance chômage ont réduit l’accès au droit à allocation chômage tout en diminuant le niveau d’indemnisation des demandeurs d’emploi. La suppression de l’ASS et l’injonction qui sera faite aux allocataires du RSA de réaliser 15 heures d’«activités» au moins par semaine relèvent de la violence sociale.

 Nous pensions avoir atteint un sommet dans ces reculs sociaux. Malheureusement, prétextant le niveau non anticipé du déficit public, le gouvernement annonce de nouvelles mesures d’austérité d’une brutalité sans précédent : nouvelle réduction de la durée d’indemnisation du chômage de 18 mois à 12, hausse de la TVA, nouvelles réductions de prise en charge par la Sécu de soins prescrits, nouvelles coupes dans les services publics… L’heure est à la lutte.

Jean-Luc Le Guellec


[i] « On est dans une logique de sélection des pauvres méritants ». Guillaume Allègre, Alternatives économiques, mars 2024
[ii] Haro sur les pauvres. Sandrine Foulon et Céline Mouzon. Alternatives économiques, mars 2024

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